La Causalité diabolique. Essai sur l’origine des persécutions

Un livre de Léon Poliakov, paru en 1980, à Paris, chez Calmann Levy.

 

Couverture de livre : La causalité diabolique

 

La présentation de l’éditeur : »Dans son Essai sur l’origine des persécutions, Poliakov étudie les principaux groupes humains qui ont, comme les Juifs, joué le rôle de bouc émissaire dans l’histoire de l’Europe, en tant que fauteurs d’épidémies, de guerres, de révolutions et autres désastres. Les jésuites et la papauté pendant la Révolution anglaise, la cour et les aristocrates, les francs-maçons et les philosophes lors de la Révolution française, et les Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale.
Le tome II, Du joug mongol à la victoire de Lénine, aborde le cas de la révolution d’Octobre. Il remonte aux origines de l’histoire russe, marquée par une rupture entre le peuple et le pouvoir civil et religieux, et analyse la manière dont cette coupure a pu favoriser au cours des siècles l’idée que le « complot » expliquait tous les conflits. Cette idée connaît son apogée avec d’une part le « complot impérialiste » dénoncé par Lénine et, d’autre part, la « conspiration juive », responsable aux yeux des Blancs de la victoire bolchevique.
Le premier tome de La Causalité diabolique est paru aux éditions Calmann-Lévy en 1980, le second en 1985. Aujourd’hui, nous rééditons en un seul volume ce grand classique, agrémenté d’une préface de l’historien Pierre-André Taguieff.

L’Avant-propos de l’ouvrage : « En travaillant à mon histoire de l’antisémitisme, un thème qui sécrète organiquement des interrogations insolites, j’ai eu en dernier lieu à traiter de « la vision policière de l’histoire » (les plot theories des auteurs anglo-saxons : la langue anglaise a quelque chose à nous apprendre, en assimilant sous le vocable plot les intrigues et même les projets aux complots. Qui plus est, elle nous met sur la voie d’un remarquable consensus étymologique, puisqu’en vieux français, un « complot » n’est qu’un « rassemblement de personnes » : l’équivalent russe zagovor, mot à mot « derrière-parler », est encore plus suggestif : parler derrière le dos de quelqu’un est déjà comploter, le complot est partout. A des nuances près, on trouve le même phénomène sémantique en hébreu, en grec et en accadien1!).
Comme on le sait, suivant la « vision policière 2 », les malheurs de ce monde doivent être imputés à une organisation ou entité maléfique : les Juifs, par exemple. J’ai cherché à mettre les explications de ce genre en rapport avec la fascination exercée sur les esprits humains par une causalité élémentaire et exhaustive, équivalant, me semble-t-il, du point de vue psycho-logique,à une « cause première ». Une remarque fortuite d’Albert Einstein sur la genèse du concept de causalité m’a donné l’idée du présent essai sur la « causalité diabolique » en général : je me suis notamment demandé si les phénomènes totalitaires du XXe siècle ne reposaient pas (entre autres facteurs) sur le besoin de succédanés aux causes premières d’antan.
Par ailleurs, conformément aux modes d’interprétation qui m’ont paru s’imposer dès le début de mes recherches sur l’antisémitisme, j’ai d’abord voulu creuser le sujet à l’aide de ma culture analytique, procédé sans doute plus licite en cette matière-là qu’en toute autre, sans du reste me faire des illusions sur les résultats à attendre d’une démarche dont on peut dire en deux mots qu’ils valent ce que vaut l’historien. S’agissant de causalité, j’en suis également venu à consulter les travaux de Jean Piaget et de son école de psychologie génétique, dont je dirai plus loin en quoi ils me paraissent moins satisfaisants, quant au fond des problèmes, que la psychanalyse. Mais les méthodes et la terminologie piagétiennes me permettent de délimiter la portée qu’on peut raisonnablement prêter à une hypothèse qui risque de donner l’impression de proposer une nouvelle clé de l’histoire universelle ? une prétention dont la démesure se laisserait couronner par un point d’ironie, pour autant que le présent essai précisément sur les « clés démonologiques » de cet ordre. En fait, il ne saurait prétendre tout au plus qu’à éclairer un certain aspect cognitif des conduites déterminées par la fascination de la causalité diabolique, alias cause première, laissant en marge « leur aspect affectif en son énergétique »; et Jean Piaget précisait bien que « ces deux aspects sont à la fois irréductibles, indissociables et complémentaires ». Tel serait le principe d’une stratégie que j’avais d’abord adoptée à ce qu’il me semble plus ou moins intuitivement : la connaissance historique n’étant purement intellectuelle que pour une part émergente, le fond du problème nous échappera donc, comme toujours. »

 

Sur Persée, le compte rendu de Elisabeth Labrousse pour les Archives de sciences sociales des religions : ici